CHAPITRE III

 

 

 

 

Les cinq super-robots et les deux hommes sont assis dans, la soute d’un cargo spatial, terminant un repas, une demi-heure plus tard.

Giuse mastique avec un plaisir évident, alors que Cal qui vient de boire s’interrompt, le visage éclairé d’un brusque sourire. Giuse tourne la tête vers lui.

— Eurêka, hein ? Tu as trouvé ! Si tu peux avoir la bonté de me tenir au courant, bien que je ne vaille pas grand-chose, modeste exécutant, à peine digne de t’app...

— Arrête de râler, le coupe Cal, personne ne t’empêchait de cogiter... d’ailleurs c’est bien ce que tu faisais, non ?

— Et vlan... d’accord, ça va, je n’ai rien trouvé alors que tu as LA solution. Je t’écoute.

Cal rit doucement, se rejetant en arrière pour s’appuyer plus confortablement contre la paroi.

— C’est HI qui m’a donné l’idée.

Giuse a l’air surpris mais ne fait pas de commentaire.

— Il a dit qu’il avait débranché l’ordinateur bis, celui que je lui ai fait construire pour embarquer sur mon Dijar de Survie, au cas où on serait obligés de partir rapidement, un jour. Je ne voulais pas devoir abandonner toute cette masse de connaissances. Je lui ai donné l’ordre de faire des copies de toutes ses banques, sans exception, et de les passer à JI118.

— Je ne vois toujours pas, dit Giuse l’air dégoûté.

— Attends. HI ne fait pas un simple double d’une banque, si tu veux il « raconte » une histoire à JI. C’est-à-dire que celui-ci enregistre à une vitesse folle ce qu’il « entend ». Tu vois, maintenant ?

— Toujours pas...

— C’est parce que tu es nouveau ici. HI est retombé sur ses anciens ordres, ceux des Loys, d’accord ?

— Oui, ça je l’avais trouvé tout seul, merci !

— O.K. ! Mais pour JI ça ne marche pas ! Il n’a jamais « connu » cette époque, les « souvenirs » qu’il a emmagasinés ne sont rien pour lui qui, depuis sa fabrication, est à mon service. Il ne « peut » pas retomber sur d’anciens ordres qui ne le concernent pas, qu’il n’a fait que stocker, alors qu’il m’obéissait. Tu piges maintenant ?

— Eh bien, JI n’est pas notre ennemi, oui, et alors ?

— Non seulement il n’est pas notre ennemi mais il est toujours de notre côté. Donc je vais me brancher sur son réseau et lui ordonner de travailler pour nous.

Cette fois Giuse se redresse, les yeux brillants.

— Comment vas-tu faire ?

— Pas difficile, Belem va trouver une voie d’alimentation en énergie de JI et la couper. Il y en a d’autres et ce n’est pas grave. Mais JI va réagir et chercher à savoir ce qui se passe. Il trouvera Belem qui lui fera un tableau de la situation et lui dira de se mettre en contact avec nous, discrètement. À ce moment je lui dicterai un nouvel enregistrement, une plaque d’ordres fondamentaux, une prise de contrôle, pour HI. Et voilà.

— Mais il n’est plus relié à HI, directement en tout cas.

— Evidemment, ça peut durer un moment avant qu’il trouve le moyen de le passer à HI... c’est pourquoi il va falloir évacuer la base. D’abord ça calmera HI et ensuite on ne sera jamais à l’abri ici.

— Mais ça peut durer longtemps ! On va utiliser bêtement un capital de vie...

— Si tu as une meilleure idée je t’écoute. Giuse secoue la tête en faisant la grimace.

 

*

 

Trois silhouettes glissent silencieusement dans un étroit couloir. La première éclaire curieusement les suivantes, un faisceau lumineux dirigé vers l’arrière.

Bientôt elles s’arrêtent et attendent. Dix secondes s’écoulent puis un panneau s’efface. La seconde silhouette, Cal, avance et chuchote dans la cavité dévoilée.

— Tu m’entends, JI ?

— Oui.

Cal a le temps de penser que JI a une « voix » moins grave que celle de HI...

— Tu sais ce qui se passe, voilà ce que je veux. Tu vas chercher le moyen de passer cet enregistrement fondamental à HI, écoute bien : « Nouveaux ordres effaçant totalement ce qui a été ordonné précédemment, la base passe désormais sous le contrôle de l’humain Cal. Il devra être protégé de tout danger quel qu’il soit, de même que l’humain Giuse, lequel deviendra chef de base adjoint. Cet enregistrement entre maintenant dans les banques à entretenir automatiquement. » Voilà, tu as noté ?

— Oui, répond laconiquement JI.

— Il faut trouver maintenant un moyen de sortir de la base. À propos, je veux que tu gardes le contact avec les super-robots par radio, comme le faisait HI.

— Compris.

— Tu sais que tu m’énerves à répondre d’un mot !

— J’en suis désolé.

Cal a un moment de colère puis sourit.

— Est-il possible de sortir de la base ?

— HI a fait tout garder par les boules, comme tu les appelles.

— Je pense à la plate-forme qui se trouve dans une salle où je suis passé tout à l’heure au huitième niveau. Pourrait-elle passer par un conduit de climatisation ? Il doit y avoir des canaux principaux ?

Six secondes s’écoulent avant que JI ne réponde.

— Deux boules venaient par ici, j’ai dû les expédier ailleurs. Oui la plate-forme pourrait passer mais le chemin est long et débouche haut sur la calotte glaciaire, à l’extérieur.

— Aucune importance... mais comment as-tu donné des ordres aux robots ?

— J’assure toujours une partie des travaux, dans la base, ils m’obéissent donc.

Cal réfléchit un long moment et ordonne :

— Alors, fais une plaque de l’enregistrement que je t’ai donné ! Tu vas attendre le bon moment pour faire cela : garde un robot-boule à ta disposition en permanence, tu n’auras qu’à lui trouver des travaux quelconques, ce robot ira cacher cette plaque à proximité de la salle des mémoires. Tu guetteras le jour où HI fera entretenir les plaques de cette salle. Fais entrer ton robot-boule derrière les robots d’entretien et fais-lui déposer la plaque, par terre, avant de le faire exploser. Comme s’il avait été court-circuité.

— Et ensuite ?

Cal rit silencieusement.

— Ensuite rien... HI enverra un autre robot aux nouvelles et trouvera un beau capharnaüm. Dans l’explosion, des plaques auront été éjectées de leur logement... Donc le robot les ramassera toutes et... les replacera ! Dès que la nouvelle plaque sera dans un logement, et comme il y a beaucoup plus de logements que de plaques ça ne doit pas faire de problème, dès qu’elle sera en place HI retombera sous mon contrôle...

— C’est un plan habile, finit par reconnaître JI.

Finalement il est normal que tu sois le chef de cette base. Je ne crois pas que les Loys auraient eu cette imagination, d’après ce que j’en ai appris.

— Désormais nous resterons en contact par l’intermédiaire des super-robots. Prépare notre fuite. Mets des vêtements de la dernière époque dans la plateforme, et des armes aussi. Combien de temps s’est-il écoulé depuis notre mise en hibernation ?

— 256 années vahussies.

— Dis donc, apporte aussi des piles pour les super-robots et pour la plate-forme. Voilà, si j’ai oublié quelque chose je t’appellerai par un robot. Préviens-nous s’il y a du danger.

 

*

 

Dix minutes plus tard, les trois silhouettes pénètrent dans la soute du cargo.

— Tu sais que je comprends mieux maintenant comment tu as pu devenir le patron de cette base, dit soudain Giuse. Tu réagis à une vitesse incroyable. Jamais je n’aurais pensé à ce plan. Faire exécuter par HI sa propre reprise en main... c’est drôlement vicieux, tu sais !

— J’ai un compte à régler avec HI, riposte Cal. Enfin ce que je dis est idiot, c’est une machine... du moins je le crois. Remarque, je n’ai fait que profiter de la situation.

— Mmmm, en tout cas si ça marche ce sera du beau boulot. Mais quand a lieu cet entretien de la salle des mémoires ?

— Je ne sais pas exactement, c’est bien ce qui m’ennuie. Et avant il faut réussir à fuir.

— Où va-t-on aller ?

— Tu te souviens de ce que je t’ai dit avant de s’hiberner la dernière fois ?

— Qu’au réveil tu me montrerais l’archipel ?

— C’est ça. C’est très beau, tu verras, et puis il y a des îles désertes, ce qui nous arrangerait, au départ du moins.

Giuse reste silencieux un petit moment puis finit par relever la tête.

— Dis... tu ne comptes pas aller voir comment ça se passe du côté de Sifra ?

Cal songe que son ami n’a pas voulu évoquer Léna. Léna, sa « descendante » que Giuse a épousée au cours du dernier voyage et qui attendait un enfant à leur départ... Il se sent étrangement ému en songeant que leurs sangs sont maintenant mêlés à travers une descendance commune.

— Pourquoi ne pas dire les choses carrément, dit-il en se moquant gentiment, tu veux savoir ce qui est arrivé à ton rejeton, non ?

— Toi, alors... ce que tu peux manquer de délicatesse, grogne Giuse. Tu t’en fous de ce qu’ils sont devenus, tes descendants, Léna, Podji... et le petit ?

Cal lève les mains en signe de reddition.

— Ça va, ça va... ne me bouffe pas ! Bien sûr que j’en ai envie. Si j’ai laissé une bague-émettrice à Podji c’est bien pour retrouver leur trace...

Il s’arrête un moment et reprend lentement :

— ... seulement, cette fois, ce n’est pas du tout la même chose. On ne débarque pas tranquillement après avoir tout préparé. On va se retrouver dans une époque dont on n’a aucun renseignement, et drôlement démunis.

— À propos, et les autres super-robots du genre de Lou, ceux que tu as commandés à HI ? Tu voulais leur faire remplacer les robots vahussis trop primitifs à ton goût ?

— Tiens, tu as raison, je les avais oubliés, ceux-là. En principe, des robots vahussis doivent être utilisés sur la Folle pour ses travaux d’installation sur une orbite paisible. Mais j’avais ordonné de mettre autant de super-robots en construction que HI le pourrait... et de les stocker dans mon Dijar de Survie. J’imagine qu’il l’a fait, Lou, demande donc à JI ce qu’...

— Attention, le coupe le grand humanoïde, il y a quelque chose qui ne va pas, JI me prévient...

— Qu’est-ce que c’est ?

— Je ne sais pas... un danger pressant... le gaz ! Giuse et Cal se regardent, et ce dernier se redresse d’un seul coup.

— Bien sûr... Vite, il faut quitter la base... j’aurais dû y penser, quel imbécile ! Ripou et Belem, filez chercher la plate-forme, ouvrez-vous un passage comme vous le pourrez, et rejoignez-nous. Salvo guide-nous vers la bouche d’aération la plus accessible à une plate-forme. Il nous reste quelques minutes !

Les deux hommes attrapent leur maigre bagage et s’élancent derrière Salvo qui s’est chargé des vêtements d’époque et de ce qui traînait. Lou et Siz encadrent leurs maîtres respectifs, prêts à les défendre.

Déjà on entend un vague sifflement semblant venir de nulle part.

 

*

 

Les deux Terriens titubent. Depuis trois minutes ils courent de toutes leurs forces à travers halls et couloirs de la base et leur poitrine se gonfle à un rythme rapide.

Cal secoue la tête comme pour s’éclaircir les idées. Il vient de comprendre dans un instant de lucidité l’erreur terrible qu’il a commise. En courant, leur rythme respiratoire s’est accéléré et ils ont aspiré du gaz en grande quantité. Beaucoup plus que s’ils avaient utilisé les anti-grav...

Ils n’en ont plus pour longtemps... Pas le temps de gagner une bouche d’aération, en tout cas. Déjà il sent sa conscience vaciller... Un sas. Il faut un sas... Il tend le bras vers Lou.

— Amène... nous dans... un... sas, vite.

Les yeux exorbités par l’effort, il renverse la tête en arrière comme pour chercher un peu d’air pur et s’effondre d’un seul coup. Comme un taureau foudroyé par l’épée du torero.

Lou tend le bras et saisit le Terrien d’un geste souple, sans paraître faire un effort. Il le soulève et le pose sur son épaule.

Siz a fait la même chose avec Giuse qui a encore un peu de lucidité mais se laisse aller contre la poitrine du robot humanoïde.

Siz et Lou se regardent une fraction de seconde, le temps de communiquer à la vitesse de l’électronique, et se dirigent en utilisant leur système anti-grav vers un embranchement sur la gauche.

Une porte rouge, munie d’une roue au milieu du panneau. Salvo la fait tourner, ouvre le lourd battant et s’efface pour laisser entrer les deux autres robots.

Lorsque Salvo achève de fermer la porte, de l’intérieur Lou et Siz sont déjà en train de ranimer les deux Terriens. Inlassablement ils pressent la poitrine des deux hommes pour expulser le gaz et leur faire reprendre leur rythme respiratoire.

Bientôt Giuse a un mouvement convulsif et ouvre les yeux. Aussitôt Salvo lui applique sur la bouche une sorte de masque qui diffuse de l’oxygène pur, Giuse en sent la fraîcheur caractéristique dans ses poumons.

Quelques minutes plus tard, il se redresse seul. Regardant autour de lui, il aperçoit Lou toujours occupé à tenter de faire revenir Cal à la vie.

— Il ne va pas ? demande-t-il, d’une voix inquiète.

Lou secoue la tête.

— Le cœur ne bat plus.

— Quoi ! Mais qu’est-ce qui se passe ?

— Il a absorbé trop de gaz, dit Siz d’une voix douce. Je crois que c’est fini.

Giuse pâlit et soudain s’accroupit près de son ami.

— Bon Dieu, ce n’est pas possible ! Il faut l’en tirer... il y a sûrement quelque chose à faire.

— Il faudrait le transporter à l’hôpital-laboratoire de la base. Là-bas on pourrait le régénérer... s’il n’est pas trop tard. Ici il n’y a rien pour faire repartir le cœur.

— Repartir le cœur ?

Giuse répète les mots, fouillant sa mémoire. Il lui a semblé fugitivement y trouver un écho... Il faut trouver, et vite. Chaque seconde de perdue présente un risque énorme pour Cal dont le cerveau n’est plus irrigué...

Comment faire repartir le cœur ? Il tourne les yeux autour de lui. La pièce est nue. Rien... Et brusquement la réponse est là.

— Lou, dit-il d’une voix précipitée, tu peux débiter de l’énergie pure, sur ta pile ?

— Oui.

— Mais est-ce que tu peux en moduler le débit ? Produire seulement une petite quantité ?

— Oui, je peux faire ça.

— Vite, viens ici.

Le grand robot humanoïde s’accroupit auprès de Cal dont les joues semblent se creuser de minute en minute. Sous la direction de Giuse, il pose un doigt sur la poitrine du Terrien sans vie, au-dessus du cœur, et un autre doigt de la même main au-dessous du cœur.

— Tu vas produire une décharge correspondant à 200 volts pendant vingt centièmes de seconde, ordonne Giuse. Attention, pas davantage, hein ? Allez, vas-y !

Un grésillement accompagné d’une sorte de petite explosion se fait entendre dans la pièce. Une odeur de chair brûlée se répand dans l’air.

Cal n’a pas bougé.

— Recommence, dit Giuse d’une voix blanche.

À nouveau, Lou se penche et pose ses doigts sur la poitrine. Une nouvelle détonation sourde.

Le corps du Terrien se cabre soudain. Dans la même seconde Lou et Salvo ont lancé leurs mains en avant et appuyé sur la poitrine.

Pendant une terrible seconde, Giuse guette un mouvement qui montrerait que Cal reprend vie. Puis il se penche en avant et pose l’oreille sur la poitrine de son ami.

II cherche le cœur... et soudain un léger battement parvient. Le cœur bat !

Faiblement, mais il bat !

— Massez-le, lance-t-il rapidement aux robots.

Le même mouvement reprend, interrompu toutes les minutes par Giuse qui écoute les battements. Maintenant ils sont plus réguliers.

— Je... je crois qu’il est sauvé, dit-il, bon sang, ce que j’ai eu peur. Maintenant il faut qu’il ait chaud, mettez-lui les vêtements qu’on a apportés.

 

*

 

Deux fois Cal est revenu à lui. Deux fois il s’est rendormi sans avoir prononcé un mot.

Dans la petite pièce c’est le silence. Giuse est assis adossé à une paroi. Les robots sont immobiles à côté. Salvo est près de la porte, guettant le moindre danger. Mais HI n’a pas lancé la plus petite attaque.

 

*

 

Cal frémit doucement. Lentement ses yeux s’ouvrent, comme s’il faisait un effort terrible. Il se sent très fatigué.

— Que s’est-il passé ? demande-t-il d’une voix lasse. Giuse sursaute, dans son coin, et approche rapidement.

— Tu m’as fait une de ces peurs... Le gaz, tu te souviens ?

— Oui, le gaz... et alors ?

— Tu en as pris de trop.

Cal reste silencieux un moment.

— Comment tu m’as ranimé ?

— Choc cardiaque. Lou t’a balancé 200 volts. Un sourire monte aux lèvres du Terrien.

— Je croyais que le médecin c’était moi ; tu es doué, dis donc !

— Si tu commences à te payer ma tête, c’est que ça va mieux, répond vivement Giuse.

Cal sourit faiblement et tente de s’asseoir. Lou se penche et l’y aide avec des gestes doux, comme s’il maniait un objet fragile.

— Et pour le reste ? demande Cal d’une voix plus forte.

— Rien de nouveau, reprend Giuse. On est à l’abri, là-dedans, mais on est aussi bloqués.

— Ripou et Belem ?

— Pas de nouvelles. De toute façon ils ne pourraient pas amener une plate-forme ici, ce sas est trop étroit. Même pour nous d’ailleurs, c’est une simple bouche d’aération.

Cal réfléchit. Il se sent encore faible, mais s’il ne fait pas d’effort physique il sait qu’il peut réfléchir assez clairement.

Comment se tirer de là ? HI doit savoir maintenant que le gaz est efficace et s’ils tentent une sortie il remettra ça.

— Maintenant on n’a plus le choix, il faut trouver une solution radicale. Comment feinter HI ? C’est ça qu’il faut faire, le posséder, trouver une astuce...

Cal renverse la tête en arrière, étirant ses bras douloureux, courbatus. Un long moment s’écoule. Salvo bouge soudain.

— Ripou m’appelle, dit-il... Il dit que des robots se livrent bataille au 18e niveau. Ils dévastent tout.

— Salvo, tu vas me servir de haut-parleur, dit Cal, retransmets-moi immédiatement ce qu’il dit... Attends, est-ce que HI peut surprendre ce que nous dirons ?

— Non, il n’a pas encore trouvé notre longueur d’onde.

Cette fois, Cal réfléchit à toute vitesse. Giuse s’est rapproché, comprenant qu’il se passe quelque chose.

— Ripou, trouve-nous deux combinaisons spatiales légères et apporte-les ici. Pendant ce temps, Belem va attaquer le groupe de robots le plus fort pour relancer la bagarre.

La réponse arrive immédiatement et Cal a un mouvement d’étonnement en reconnaissant la voix de Ripou dans la bouche de Salvo.

— Il faut utiliser quelles armes ?

— Les désintégrants au besoin, frappez dur. De ton côté, fonce dans un puits de lancement et balance, en automatique, un module d’exploration en orbite haute... si tu en as le temps. Ensuite arrive ici avec une plate-forme.

Lou s’agite, attirant l’attention de Cal.

— Belem dit qu’il a trouvé une sortie par un conduit d’aération assez large pour une plate-forme.

— O.K., dis-lui d’exécuter les ordres.

Tout s’accélère maintenant. Une idée confuse s’agite dans le crâne de Cal qui n’arrive pas à la formuler clairement. Agacé, il la repousse et se relève lentement. Un léger vertige lui fait porter la main au front.

— Pas encore trop solide, hein, dit Giuse en s’approchant.

— Non, une vraie saloperie, ce gaz. Soyons prêts à partir. Lou et Siz, vous vous occupez de nous et Salvo dirige l’ensemble en nous protégeant. Il faut sortir le plus vite possible de la base et de la zone d’intervention des robots de proximité. Une fois dehors, Salvo, amène-nous dans l’archipel à basse altitude en évitant les terres. Trouve une île tranquille et pose la plate-forme au bord de l’eau.

 

*

 

Des bruits sourds parviennent au sas où sont enfermés les deux Terriens et les trois robots. La bataille fait rage, et Cal sent une colère monter en lui.

— Ils vont tout saccager, ces foutus robots, gronde-t-il.

— C’est toi qui leur as dit d’employer les grands moyens, proteste Giuse.

— Je ne parle pas des nôtres, bon sang... tu entends ça ? Ils vont bousiller la base !

— Je suis devant la porte !

La voix de Ripou vient de retentir dans le sas. Aussitôt Salvo agrippe la commande d’ouverture et le lourd battant s’écarte.

Ripou apparaît qui lance brusquement à l’intérieur du sas un paquet de vêtements, les combinaisons. Déjà Salvo referme la porte, pendant que Lou et Siz, un masque à oxygène à la main, sont prêts à intervenir si les deux humains montrent la moindre fatigue.

À toute vitesse les Terriens s’habillent, enfilant la combinaison par-dessus leurs vêtements, et fixant les casques souples et transparents. Cal branche l’arrivée d’air et la radio de son casque, le premier. Puis il fait signe à Salvo de rouvrir la porte dès qu’il voit que Giuse a refermé son propre casque. Désormais ils sont à l’abri du gaz.

Ripou est à l’embranchement d’un couloir, à quinze mètres. Il tient à la main un désintégrateur lourd comme s’il s’agissait d’une cacahuète.

Les deux hommes branchent leur système anti-G et partent à l’horizontale, comme des nageurs, suivis des robots. À une centaine de mètres la plate-forme est là, moteur en marche, puisqu’elle flotte à trente centimètres du sol.

Tout le monde s’y engouffre, se tassant tant bien que mal dans la cabine. Salvo est aux commandes.

— Belem vient de lancer un module, dit-il rapidement. Il a des ennuis... il est poursuivi par trois robots-boules.

Les parois du couloir défilent à une vitesse folle.

Seul un robot est capable de conduire à une vitesse pareille ! Les virages, à angle droit, sont impressionnants car il ne ralentit pas. Le système de compensation magnétique absorbe la force centrifuge et la restitue en accélération, ce qui donne à l’engin des coups de reins brutaux.

Une détonation sèche, devant eux. Un pan de mur s’effondre et dévoile une galerie où la plate-forme s’engouffre.

— Belem se dirige vers la surface, intervient Lou qui vient d’être contacté. On va le retrouver à la sortie. Mais il faudra faire vite, ils sont toute une bande derrière lui, maintenant.

La galerie, taillée dans le roc, est violemment éclairée par le projecteur frontal de la plate-forme. Elle monte de plus en plus mais Salvo n’a aucun mal, apparemment, à en suivre le niveau.

Il ralentit soudainement.

— On arrive, prévient-il.

— Lou et Siz, dit Cal, vous allez débarquer avec Ripou et son désintégrateur lourd. Attendez que Belem soit sorti et bouchez l’entrée de la galerie. Salvo, tu leur donneras le signal.

Dix secondes plus tard, une lueur apparaît devant la plate-forme qui ralentit encore et surgit à la surface dans un paysage de neige et de glace. La porte s’ouvre et les trois robots jaillissent à l’extérieur comme des flèches.

Il était temps. D’une petite ouverture à quelques mètres débouche une forme que les deux Terriens identifient immédiatement : Belem !

Tout de suite c’est l’enfer. Les robots ont ouvert le feu et la roche fond, mêlée de neige vaporisée directement.

Déjà les robots reviennent, grimpant sur la plate-forme par l’arrière.

— Lou dit qu’on peut démarrer, fait Salvo, aux commandes, ils sont accrochés.

— O.K., vers l’archipel, mais fais d’abord une verticale, ordonne Cal en réglant l’écran de visibilité qui entoure la cabine. Je veux voir ce qui se passe ici.

La plate-forme fait une montée en accéléré et se rétablit à trois mille mètres au-dessus. Des explosions souterraines apparaissent à l’entrée de la galerie qui vient d’être bouchée.

D’un seul coup, Cal prend le coup de sang. Il empoigne un micro manuel et bascule le contact qui sélectionne la base.

— HI20 314, qu’est-ce que c’est que cette pagaille ! Je vous ordonne de faire cesser ces batailles absurdes. Si vous n’êtes plus capable de contrôler cette base, détruisez vos circuits comme vous en avez l’ordre, en dernière extrémité. Faites immédiatement une vérification de vos relais. C’est un ordre supérieur !

— Qu’est-ce qui te prend, demande Giuse stupéfait, pourquoi lui parles-tu en Loy ?

Cal tourne vers son ami un visage étonné.

— Moi, je parle en Loy ?

— C’est ce que tu viens de faire, oui.

— Je... je ne m’en suis pas rendu compte ! Dis donc, j’ai besoin de repos...

Sur l’écran les explosions, au sol, se sont arrêtées. Cal montre le paysage du doigt.

— En tout cas, c’est efficace, regarde ! HI a stoppé ses bêtises. Bon, il n’y a plus qu’à attendre que notre petit plan puisse être appliqué par JI. En attendant, gagnons l’archipel.